Interview avec Fatma Samoura

par | Juin 3, 2019 | 0 commentaires

fatma samoura

Elle est aujourd’hui considérée comme la femme la plus puissante du sport mondial. La Sénégalaise Fatma Samoura, ancienne haut-fonctionnaire du système des Nations Unies, a été propulsée sur le devant de la scène en mai 2016 par Gianni Infantino, le président de la Fifa. Première femme à occuper ce poste, Fatma Samoura conjugue à merveille qualités de leader et féminité dans un monde très masculin. Elle ambitionne de transcender les barrières religieuses, raciales et du genre à travers le football. Rencontre avec une passionnée de travail, de football et de cuisine..

LHA : Comment avez-vous vécu le parcours des équipes africaines lors de la coupe du monde 2018 ?

FATMA SAMOURA : J’ai vécu la coupe du monde en Russie avec une grande excitation mais aussi avec une certaine fierté. L’idée de voir cinq équipes africaines qualifiées était pour moi quelque chose de vraiment magique. Au niveau du jeu, je pense qu’on n’a rien à reprocher aux équipes africaines même si elles n’ont pas passé la phase de pool. C’était aussi un moment de communion entre l’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et les Amériques. Des liens d’amitié et une certaine complicité se sont tissés entre les fans et les footballeurs. J’ai également beaucoup apprécié le soutien mutuel entre les supporters sénégalais et les supporters japonais. Mais ce qui m’a surtout fascinée, c’est le niveau de civisme des fans sénégalais. A la fin de chacun de leur match, ils ont tenu à nettoyer les tribunes et à montrer de cette façon qu’il y avait un avant-match et un après-match. L’état d’esprit qui a prévalu tout au long de ce mondial s’est matérialisé par une fraternité entre les équipes africaines et les autres équipes qui ont participé au mondial.

Vous avez vécu la Coupe du monde aux premières loges auprès de légendes du football. Vous avez dû vivre un grand moment d’émotion.

Etre assise à côté d’icônes du sport, dans un stade plein à craquer, est effectivement quelque chose d’inimaginable. Avec tout le travail que j’avais à faire, je craignais de ne pas pouvoir vraiment en profiter mais au final j’en ai profité au maximum. J’ai noué des amitiés, des amis à moi sont venus des quatre coins du monde par leurs propres moyens et sont repartis des étoiles plein les yeux. C’était vraiment un moment féérique. Et d’ailleurs je suis très excitée à l’idée d’aller au Qatar pour le prochain mondial. Lors d’une visite récente dans ce pays, j’ai pu découvrir la maquette du stade qui abritera le match d’ouverture et la finale. Et je peux vous confirmer que ça promet d’être grandiose.

Plus que jamais on a pu constater, dans la tribune officielle lors de la coupe du monde, que les gouvernances de la politique et du sport restent très masculines. Comment vous êtes-vous imposée dans ce monde d’hommes ?

Ma carrière a voulu que je sois amenée à performer des métiers qui sont entre parenthèses des métiers d’hommes. Avant d’entrer aux Nations Unies, j’étais chargée de la vente des engrais à l’intérieur du Sénégal puis au niveau international avec un contrat de 2 millions de tonnes d’acide phosphorique à commercialiser en Inde. C’était un milieu d’hommes. Lorsque j’ai commencé ma carrière en 1995 dans la logistique, nous étions seulement deux femmes parmi soixante personnes dans un bureau de logistic officers. Je ne me suis jamais sentie comme quelqu’un d’inférieur parce que j’étais une femme. Néanmoins, parce que j’étais une femme, je devais prouver au quotidien que je travaillais autant, voire mieux qu’un homme. On ne demande jamais à un homme s’il est compétent pour occuper un poste mais on trouvera toujours des prétextes pour affirmer qu’une femme ne l’est pas. En ce qui me concerne, je m’attache à travailler le plus possible, à ne pas montrer que je suis inférieure. Je fais en sorte d’être la meilleure.

Je ne me suis jamais sentie comme quelqu’un d’inférieur parce que j’étais une femme

Pendant le mondial, les matchs se succédaient d’une ville à l’autre. Quel a été votre secret pour suivre ce rythme effréné tout en gardant votre sourire et votre dynamisme ? De la vitamine C, du magnésium ou une recette miracle ?

Toute cette excitation autour du mondial m’insufflait la dose nécessaire de vitamines. Personnellement, j’évite les vitamines par crainte de leurs effets secondaires. Je pense qu’il faut écouter son corps et ne pas dépasser ses limites. Il faut manger sainement et marcher autant que possible, ce qu’on ne fait plus dans nos sociétés. Je suis très active autant chez moi qu’au bureau où je fais 5 kilomètres par jour. En ce qui me concerne une alimentation saine, de la marche et un moral d’acier sont de bonnes combinaisons pour tenir le coup.

La coupe du monde de football féminin aura lieu pour la première fois en France. Elle sera sans doute très médiatisée. Quels sont les défis que cet événement doit relever pour continuer à se développer ?

Au récent tirage au sort à Paris, nous avons pu constater l’engouement généré par ce prochain événement. Les personnes présentes étaient plus nombreuses qu’en Russie en décembre 2017 lors du tirage de la coupe du monde 2018. Je pense que cette coupe du monde de football féminin aura un retentissement jamais égalé. Tout d’abord au niveau des équipes dont certaines participent pour la première fois. Près de 500 joueurs seront présents en France. Les matchs se dérouleront dans 9 villes, notamment à Lyon où se dérouleront la demi-finale et la finale et Grenoble où se joueront 5 à 6 matches. Pour la Fifa, c’etait la première fois que sept mois avant une compétition féminine, 200 000 billets aient déjà été vendus sur 1 million trois cent mille. En 2015, la finale de la coupe du monde au Canada avait rassemblé 750 millions de téléspectateurs. Notre objectif très ambitieux est d’atteindre 1 milliard de viewers lors de la finale de 2019.

Au mot puissance, je préfère celui d’influence. Car le pouvoir est éphémère et n’inclut pas un héritage à laisserA l’ère du digital vous êtes très active sur les réseaux sociaux. Avez-vous un « community manager » ou prenez-vous le temps d’interagir vous-même avec vos followers et abonnés ? Combien de temps y consacrez-vous chaque jour ?

Je préfère moi-même faire mes tweets car je n’aimerais pas que les propos d’autrui me soient attribués. Il m’arrive toutefois de demander à mon community manager qu’elle prenne les photos. L’inconvénient avec tweeter, c’est la limite du nombre de mots alors que j’ai pour objectif d’atteindre la personne que je vise à travers un langage auquel il est sensible. C’est la raison pour laquelle je tweete dans différentes langues au risque parfois de commettre des erreurs. En revanche, je ne suis pas sur instagram bien que mon community manager m’encourage à y aller. J’expérimenterai sans doute instagram très prochainement.

Au mot puissance, je préfère celui d’influence. Car le pouvoir est éphémère et n’inclut pas un héritage à laisser

Comment choisissez-vous vos tenues pour les grandes occasions ? Que trouve-t-on dans votre garde-robe : des tenues classiques, de créateurs africains ou de grands couturiers ?

J’aime bien tout ce qui est beau ! (rires). J’aime aussi quand les femmes réussissent à combiner l’intelligence à l’élégance. Hélas avec la Fifa nous sommes obligées de porter souvent nos uniformes et mon vœu serait qu’on puisse porter ce qu’on veut. (rires). Autrement, ma garde-robe est majoritairement composée de tenues réalisées par des créateurs sénégalais et aussi de certains grands couturiers que j’aime bien. Pour moi la tenue idéale en tant que sénégalaise c’est le boubou sénégalais. Et je crois que le port du foulard est quelque chose que nous envie toutes les cultures. D’ailleurs j’étais en tenue sénégalaise lors de la finale de l’Euro 2016. Dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une compétition de la Fifa, je n’étais pas obligée d’être en pantalon et en veste. La tenue sénégalaise parle aux gens et leur indique que je suis Africaine, car je suis ici aussi pour montrer une différence de culture aussi bien linguistique que vestimentaire. 

En tant que Secrétaire générale de la Fifa, vous êtes considérée aujourd’hui comme la femme la plus puissante dans le monde du foot. Par ailleurs, en tant que Sénégalaise vous êtes censée être une parfaite femme d’intérieur. Comment arrivez-vous à concilier ces deux identités ?

Au mot puissance, je préfère celui d’influence. Car le pouvoir est éphémère et n’inclut pas un héritage à laisser alors que lorsque vous êtes capables d’influer sur le sort des gens, ils se souviendront de vous après votre départ. 

En ce qui me concerne, j’essaie de combiner un travail qui exige une certaine réserve, beaucoup de voyages et de rencontres, à une vie de mère et d’épouse. J’avoue en toute honnêteté passer plus de temps au travail qu’avec ma famille. J’ai néanmoins la chance d’avoir une famille compréhensive, et surtout un mari qui a admis très vite que son épouse se destinait à une carrière internationale et que cela équivalait à beaucoup de sacrifices au niveau familial. J’essaie aussi de rester en contact avec mes proches restés au Sénégal ainsi qu’avec mes huit frères et sœurs.

Pour ce qui est de la cuisine, je cuisine dès que je le peux, et même si je ne me définis pas comme un cordon-bleu, je pense que je me débrouille très bien. Mais je n’ai pas à me plaindre de mon sort. Essayer de trouver un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle est le lot de beaucoup de personnalités.

Votre quotidien vous conduit à voyager, à faire plusieurs fois le tour de la planète chaque année. Vous avez goûté à bon nombre de cuisine. Tous pays confondus quels sont vos 3 plats préférés et pourquoi ?

Je préfère parler de cuisine en général. J’ai beaucoup passé de temps en France, notamment lorsque j’étais étudiante et j’aime beaucoup la cuisine de ce pays.  C’est une gastronomie fine, diversifiée, qui parle au palais. Pendant la coupe du monde j’ai découvert la cuisine géorgienne qui m’a époustouflée.

Elle est hyper riche en fibres, d’une grande diversité et surtout remarquablement bien présentée. Leur pain, mélangé à du fromage est divin. Et puis j’aime bien la cuisine épicée et relevée comme les plats à base de curry qui est mon péché mignon. J’adore également la cuisine italienne et en particulier les spaghetti à la vongole.

Qu’est-ce que vous avez apporté comme touche personnelle en prenant vos fonctions au sein de la Fifa ? 

Je suis une personne très positive et joyeuse de nature. Même en période de crise, je fais en sorte d’insuffler de la joie à l’endroit où je me trouve.

Je vais vous raconter une petite anecdote qui illustre ce trait de caractère. Quand je suis arrivée au Tchad en 2007-2008, on m’avait nommée comme coordinateur humanitaire. En 2008, le Tchad était en guerre contre le Soudan et il y avait beaucoup de réfugiés dans le pays.

Je leur rendais visite dans les camps et je prenais le temps de les faire rire. Et tous les mercredis, j’invitais la totalité des humanitaires à venir déjeuner ou dîner chez moi. Au moment de quitter le Tchad, le représentant du Secrétaire général m’a dit : « Tu sais Fatma, tout le monde va te regretter au Tchad sauf les moutons ». (rires). Car tous les mercredi j’en faisais tuer un afin de préparer un méchoui.

Et c’est vrai que j’ai essayé d’apporter un peu de joie dans ces moments particulièrement difficiles.

Ici à la Fifa, nous organisons une fois tous les trimestres un pot informel où les employés peuvent se retrouver autour d’un apéritif et échanger de façon cordiale, sans aucune contrainte. Nous avons également introduit une soirée à thème où il faut venir déguisé. Ces moments festifs permettent de renforcer les liens et de garder une bonne ambiance au sein de la Fifa.